L'expérience des spectateurs

Coups de cœur de la saison 2013-2014


Par les villages, Peter Handke

Mise en scène de Stanislas Nordey

Comédie de Saint-Etienne

Vendredi 21 février 2014

 

 Sur la scène figure un village d’ouvriers d’autrefois : un frère, devenu écrivain, éloigné depuis longtemps revient auprès de sa sœur et de son frère Hans, ouvrier. L’écrivain ne reconnaît plus ce pays transformé par la vie moderne et renoue contact avec chacun de ses occupants. En jeu : une maison de famille où personne ne peut plus se parler. Alors la fratrie et les ouvriers vont se dévoiler petit à petit à lui, dans des monologues lyriques et gesticulés. Avec toute leur souffrance, soufflée par leurs rêves qui passent comme une ombre.

                Côte à côte, ces êtres vibrants ne se touchent que rarement et ne s’affrontent qu’au plus fort des discordes, les corps étrangers à force de travail, harassés par les consolations de la vie. C’est le monde des ouvriers confronté à celui de l’intellectuel.

A l’image du texte, le décor paraît dépouillé : au fil de la pièce, des préfabriqués bleu-azur disposés côte à côte laissent la place à un mur où se devinent des arbres. Et derrière : le jardin clos de la demeure familiale.

                Et puis la mort pestilentielle qu’on ne veut pas voir laisse deviner sa silhouette. Alors, plus rien ne compte. Elle est là, dans l’enceinte du jardin familial, dans les mots, dans les crânes, dans les arbres, dans le noir des habits de deuil. Comme une procession qui n’en finit plus de passer, chacun sait qu’elle emporte tout.

                L’étrangère, celle qui accompagne l’écrivain, le sait bien aussi et ne cessera de chanter la beauté du monde pour la réconciliation, dans un lyrisme sans fin. 

V. Souchon


 "Ne néglige la voix d’aucun arbre, d’aucune eau. Entre où tu as envie d'entrer et accorde-toi le soleil. Oublie ta famille, donne des forces aux inconnus, penche-toi sur les détails, pars où il n’y a personne, fous-toi du drame du destin, dédaigne le malheur, apaise le conflit de ton rire. Mets-toi dans tes couleurs, sois dans ton droit, et que le bruit des feuilles devienne doux. Passe par les villages, je te suis."

Par les villages, Peter Handke, 1981

(photo : -cqfd-journal.org)



Avignon off, Théâtre de la tâche d’encre

Ark Tattoo, W. David Hancock,

mise en scène de Chris Mack et Nick Millet

Lundi 15 juillet 2014

 

Foster, un ancien enfant placé devenu "hommes à trous (de mémoire)"  nous invite dans son "vide-grenier théâtre" à achete[r ]ses souvenirs, [à] plonge[r] la main dans son Arche à Histoires" et à découvrir son passé. Les fantômes de Foster, les objets de du cabinet de curiosités de Monsieur Phinney envahissent la salle comme l'âme du spectateur bien au-delà de la représentation.

Ce texte est troublant et subversif. Son personnage principal, amnésique et torturé, amuse, intrigue et fascine à la fois.

 Cette pièce enfin est belle car elle est comme le théâtre : le lieu de rencontre de l’autre et de nous-mêmes. Capable d'entraîner au large ou de ramener sur les rivages, à l’image de l’existence sans doute,  Ark Tatoo est de ces pièces qui laissent des cicatrices.

V. Souchon

 

“Les fantômes ne flirtent pas par les mots vous savez, ils font l'amour en échangeant des souvenirs”

Ark Tattoo, W. David Hancock

 



Opéra-Théâtre de Saint-Etienne

Je marche dans la nuit par les chemins mauvais, 2014

De et mis en scène par Ahmed Madani

Vendredi 18 avril 2014

Ahmed Madani, qui se définit lui-même comme "un auteur en scène" livre avec cette pièce un univers tendre et sombre à la fois : suite à une violente dispute avec son père, Gus, un adolescent en rupture familiale, s'est violemment disputé avec son père : il est alors envoyé pour trois mois chez son grand-père qui vit à la campagne. La rencontre est difficile et le choc des générations brutale et drôle. Peu à peu une complicité s'installe et  le grand-père redécouvre son passé à travers le jeune homme : comme lui il a été jeune, mais la guerre d'Algérie a entaché son existence et blesse toujours sa mémoire. Sa fragilité dévoilée cache un secret pesant que son petit-fils va découvrir en même temps que la salle...

V.Souchon
 



Unissons, Odyssée Ensemble & Compagnie,

Théâtre instrumental sur des musiques et textes de Jacques Rebotier

(Le dos de la langue (poésie courbe), L’arbalète Gallimard) 

Vendredi 15 février 2014

Dans ce spectacle, les  musiciens de Odyssée ensemble & cie  mettent en scène et en musique un texte de Jacques Rebotier. Entre musique et théâtre, ce spectacle allie avec brio la poésie à l'absurde dans un rythme enjoué : le plaisir du jeu, des mots, des corps et des sens est à l'honneur dans ce théâtre instrumental, où de nombreux instruments, parfois surprenants,  se côtoient, le tout dirigé par le chorégraphe Jean-Christophe Bleton et le musicien Serge Desautels, avec un sens du divertissement rafraîchissant.

 V. Souchon

                                              "Et maintenant je ressens une douleur

Une grande douleur

Une douleur très aigue ce n’est pas grave "

"Rien ne t’atteint toi

Vraiment rien ne t’atteint

Rien ne t’atteint vraiment"

Le dos de la langue (poésie courbe), Jacques Rebotier

 



30/40 Livingstone

Sergi Lopez, Jorge Pico

Festival Off d'Avignon, Théâtre de la Luna

Dimanche 14 juillet 2014

 


 

"Il faut partir, quitter la « maison empaillée » de son enfance et un travail fastidieux. Partir pour être soi, pour être un homme, heureux ou pas. Le héros de « 30-40 Livingstone » est un « homme qui cherche ». Et au bout de sa quête, il va trouver : l’animal légendaire, la créature ailée, bien différente de ce qu’il imaginait, avec ses cornes de plastiques et son petit costume d’été. Aller au bout du rêve, pour mieux le tuer après?

Cette drôle de fable surréaliste signée des comédiens Sergi Lopez et Jorge Pico est le must d’ « Avignon à la Catalane », un festival dans le festival. Et elle fait salle comble au théâtre de la Luna, l’un des hauts lieux du Off. Pas seulement parce que Sergi Lopez est un acteur apprécié du grand public. Ce spectacle, qui joue la carte de l’humour décalé et de la confession intime, distille un charme singulier qui touche le spectateur au cœur et titille ses zygomatiques.

Guignol dadaïste

D’abord il y a ce chassé croisé entre Livingstone (Sergi Lopez) et l’homme-cerf (sur un drôle de tapis vert) –une course poursuite façon Guignol dadaïste. Et puis l’explorateur se raconte. Sa passion de « chercher » vient de loin, de l’enfance. L’annonce de son départ ne surprend pas sa mère. Avec son père, c’est une autre paire de manches : il a beau faire de tout bois, par mots puis par gestes, allant jusqu’à interpréter un hilarant petit ballet, son paternel n’en a cure : captivé par le match de Wimbledon à la télé, ses derniers mots, en guise de bénédiction, seront « 30/40 »…

L’herbe est-elle plus verte ailleurs ? Dans la jungle profonde, notre héros finira par rejouer le match. Au bout de six ans de recherches, le voilà face au « graal » cornu. Après des présentations d’usage (délicates) avec l’animal sauvage et entreprenant, l’explorateur doit sacrifier au rite de l’espèce : arbitrer un match de tennis. Le tapis vert amazonien redevient pelouse de Wimbledon. Le jeu s’emballe, jusqu’au clash. Puis l’homme-cerf se blesse. La fin du rêve est proche…

Dans une atmosphère onirique, les deux comédiens nous aspirent avec fougue dans leur délire. Sergi Lopez est une boule de nerfs tout en failles élégantes –ses emportements sont dantesques, ses émerveillements touchants. Jorge Pico joue en contrepoint la carte du mystère, homme/animal gracieux et vaguement menaçant. Les spectateurs jubilent, ravis d’avoir perdus leurs repères dans ce face à face existentiel. Créé en 2011 en catalan au festival Temporado Alta, ce spectacle original et plaisant mérite une longue tournée en France… dans 30-40 villes au moins."

Philippe Chevilley


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